Une Journée Dans La Vie D’une Transsexuelle

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Comme chaque jour normal, une transsexuelle normale se lève le matin pour aller travailler. Comme chaque matin devant sa glace, elle remercie le seigneur de lui avoir donné un travail. Certes ce travail lui permet à peine de subvenir à ses besoins et même si elle doit travailler dans un domaine qui ne va pas avec ses diplômes elle ne fait que se dire la chance qu’elle a d’avoir ce travail. Normal, puisqu’une transsexuelle dans un  Liban hétéro-normatif ne peut être autre que prostituée sinon danseuse d’un cabaret ce qui la ramène aussi à se prostituer.

Comme à chaque fois qu’elle veut sortir, elle se met une tonne de fond de teint qui doit être assez foncé pour cacher le plus possible une barbe qui ne veut pas disparaitre parce qu’elle n’a pas le luxe de se payer des séances de laser pour se débarrasser de ce geste qu’elle répète tous les matins devant sa glace, un geste qui lui fait rappeler à chaque fois qu’elle est un homme biologique et comme tous les hommes il faut qu’elle se rase cette foutue barbe. Elle regarde impuissante la peau de son visage qui se fane inexorablement sous le feu du rasoir. Bien sûr pour avoir l’éphémère illusion qu’elle n’est pas un homme, elle s’interdit d’utiliser une mousse à raser, ce qui ne fait qu’empirer l’état de ce pauvre visage.

Dans la rue, espace de tous les dangers, elle vit dans la peur de se faire démasquer par un passant qui ne va bien sûr pas lui épargner une insulte ou une injure. Dans cette jungle de béton, de voitures, et de bruit, les pires se sont les meutes d’adolescents: Telle une meute de loups, ils se lancent à la chasse de tout ce qui sort de l’ordinaire pour se prouver qui est le plus fort d’entre eux, le plus cool et le plus populaire. Elle les évite comme elle éviterait la mort.

L’autre espèce de prédateurs qu’elle redoute encore plus est les policiers. Pur produit d’une société patriarcale, de protecteurs ils se transforment en agresseurs. Si elle arrive à échapper à ces prédateurs elle n’échappera jamais à un autre de la liste si longue de ses prédateurs qui n’est autre que le chauffeur de taxi. Elle frôle le viole à chaque fois qu’elle en croise un.

Elle arrive enfin à son travail soulagée d’avoir échapper encore une fois au pire. En cet endroit une autre sorte de prédateurs l’attend: Les curieux et les voyeurs… De « Tes seins sont naturels ou est ce que c’est des prothèses? », « Les hormones n’agissent pas sur la voix? », «  Et la barbe? », « Quelle a été la réaction de ta famille ? » pour finir comme à chaque fois «  Atshitou aw ba3ed ? ». Cela va sans dire qu’elle doit répéter les mêmes réponses aux mêmes questions à chaque nouveau venu.

Le soir, elle rentre à la maison remerciant encore une fois le seigneur d’avoir une vie normale, mais une transsexuelle normale est une transsexuelle seule. Elle ne peut pas rendre visite à une mère, une sœur, une tante ou encore une grand-mère. Une transsexuelle normale est répudiée par sa famille.

Comme tous les gens normaux, une transsexuelle normale veut sortir, s’amuser et se défouler. Mais une transsexuelle normale ne peut pas avoir d’amis car ces derniers s’ils s’affichent en publique avec elle, comme elle, ils vont être stigmatisé. Rares sont les personnes qui ont le courage de le faire.

Une transsexuelle normale est refusée d’entrer dans la plupart des établissements de loisirs gay-friendly de Beyrouth. Les possibilités de passer une belle soirée pour une transsexuelle normale se limitent à deux endroits: Dans le premier dont le nom rappelle l’acidité de l’eau de javel, elle doit ressembler à un garçon efféminé mais ne jamais se faire passer pour une fille sinon elle n’entre pas. A l’intérieur, propriété publique, elle est sujette à tous les harcèlements et à tous les abus. Si elle se défend, les agents de sécurité l’accusent de troubler l’ordre et menacent de la jetter dehors si elle récidive. Le nom du second rappelle la noirceur du monde de la prostitution où l’on se retrouve réduite à être traitée en marchandise, propriété du plus offrant.

Une transsexuelle normale a une vie amoureuse normale. Son petit ami l’aime mais il ne l’aime pas assez pour  s’afficher avec elle, normal c’est une transsexuelle. Leur relation ne dépasse pas les murs de sa chambre (ou une chambre d’hôtel), elle ne dépasse même pas les limites de son lit. Une  transsexuelle normale est un extra dans la vie de son petit ami qui se l’offre toutes les une à deux semaines.

Qu’est ce qui est normal dans une journée normale d’une transsexuelle normale à part qu’une transsexuelle est normale?

randa
Militante LGBT, elle a traîné le rêve de se vouer à la cause depuis l’âge de 15 ans. Elle a commencé son parcours dans la société civile par une association de protection de l’enfance, la lutte pour le droit de la femme à décider de son corps et de son esprit et elle a fini par se lancer dans la grande aventure de la lutte pour la cause LGBT à travers le blog Aladin puis le groupe Abu Nawas. Son rêve est d’arriver à une reconnaissance des droits de la communauté transgenre dans le monde arabe… Tout est à refaire…

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